Comment décrire un vaisseau spatial ?
Hier soir, j’ai lu la description du bouclier d’Achille dans le chant XVIII de l’Iliade, un peu par hasard, un peu parce que je réfléchis en ce moment à la meilleure manière d’écrire la description d’un vaisseau spatial dans mon roman de SF dont j’ai enfin terminé le premier jet.
Puis, hasard du calendrier de mes lectures, j’ai enchaîné avec la première nouvelle du recueil Plasmas de Céline Minard aux éditions Rivages (acheté aux intergalactiques de Lyon sur les conseils avisés d’un excellent libraire et de Léo Henry).
Or cette courte nouvelle ( « En l’air ») a tout d’une description en mouvement puisqu’elle met en scène deux trapézistes sous les sens de mystérieux Bjorgs qui étudient leurs impressions les plus intimes de l’effort à la peur. Deux millénaires et demi ans séparent ces deux descriptions et pourtant, j’y ai trouvé ce que je cherchais : le pouvoir du verbe à nu.
Euh… Bravo, Claire, enfonçage de porte ouverte.
Je veux dire que ces descriptions ne sont pas là pour décrire, mais pour créer un univers sans le copier. Contrairement au réalisme qui se veut au plus près du réel (comme son nom l’indique). J’ai fouillé mes souvenirs (et internet) et j’ai retrouvé une analyse de mon ancien prof de version grecque qui expliquait très clairement cette distinction : ce n’est pas de la mimésis (de la copie), c’est de la poiesis (création de quelque chose de neuf).
Le verbe est performatif (ça y est, j’ai perdu tout le monde) : le fait de nommer une chose la fait s’accomplir et exister.
Ces mots un peu inhabituels me permettent de dire succinctement ce qui prendrait plus de lignes à expliquer en langage courant, mais en gros, l’idée tient à ce que ces descriptions n’imitent pas ce qu’elles veulent montrer, elles le créent sous nos yeux.
Ce n’est pas incompatible : quand Flaubert (désolée, pour moi, il sera toujours le plus grand) décrit Salammbô, il la copie en même temps qu’il la crée.
L’écriture de Céline Minard dans cette nouvelle (je n’ai pas encore lu les autres) m’a paru très contemporaine en ce qu’elle suscite des sensations et des idées qui germent dans le lecteur, non pas en copiant, mais en tissant à partir des sensations personnelles du lecteur. Le résultat sonne un peu froid et pas toujours très clair, mais est d’une puissance et d’une intégration à la mémoire sensorielle et personnelle du lecteur telles qu’elles emportent le morceau.
Bref, la conjonction inattendue de ces deux lectures m’a donné du grain à moudre pour écrire ma propre description de vaisseau spatial (description bien modeste au regard de ces deux textes) et m’a offert la clef qui me manquait.
Je n’ai jamais douté du dialogue entre écrivains, même à deux mille huit cents ans de distance. Maintenant, je vais donc me retirer sur la pointe des pieds et laisser Homère et Céline discuter.
L’Iliade, chant XVIII
Plasmas, Céline Minard, Rivages