Moby Dick m’a tuée

Moby Dick m’a tuée

Relire Moby Dick a été une épreuve.
Non pas à cause du style de Melville, très imagé et d’une grande variété stylistique. On alterne les scènes comiques, de combat violent, les descriptions et les développements quasi métaphysiques, mais aussi les recensions biologiques, les discussions (du narrateur avec lui-même) sur l’appartenance de la baleine au genre des poissons ou des cétacés, les modes d’emploi du harpon, des haubans et du nid-de-pie comme aucun écrivain ne l’oserait aujourd’hui de peur de se faire taillader les paragraphes par son éditeur.
Non plus à cause du personnage. Une narration entièrement à la première personne par un homme dont tout nous est en réalité méconnu et sujet à caution, depuis son prénom jusqu’à son objectif réel sur ce bateau. Il nous ravit de ses considérations et de ses connaissances pointues des penseurs de son temps qu’on n’attendait pas chez ce marin, qui, jugez plutôt, quand il sent venir l’envie de se suicider, préfère s’embarquer pour chasser le cachalot.


Alors à cause de quoi ?
La tuerie. La boucherie du dernier tiers. Montrer la souffrance d’une baleine aux chairs tordues sous les fers après l’avoir décrite allaitant son baleineau, montrer le sang craché par l’évent après avoir expliqué pendant des chapitres l’intelligence et la sensibilité de l’animal, l’amitié des cétacés entre eux, leur solidarité. Pendant plusieurs chapitres, des dizaines de pages, ces hommes traquent, essoufflent, font crever le cœur des léviathans et laissent les requins dévorer leurs chairs accrochées aux flancs du navire.
Pourquoi tant de haine ? Pour finir tous happés dans un tourbillon, sauf le héros.


Qu’en retirer ?
Mon sentiment face à ce roman aux interprétations multiples comme tous les grands textes : ce roman dépeindrait l’absurdité de la condition humaine et la réaction de l’homme face à elle. Comme dans Le mythe de Sisyphe de Camus, l’absurdité du monde et le sentiment de son hostilité (selon Camus car je ne le perçois pas de même) le pousse au suicide (ou à la révolte). Ou à la violence pour se sentir exister, comme dans l’Étranger. Comme aussi le héros d’Un roi sans divertissement de Giono : Achab, aussi bien que Langlois, choisit la violence et le meurtre, faute de mieux. Le vernis qu’est la vengeance recouvre seulement l’effondrement de l’homme sur lui-même face à l’absurde.


Ishmael, le héros, ne touche pas à la baleine, il monte seulement sur le bateau. Le suicide ne le tente pas, la violence non plus. Alors que vient-il chercher dans cette chasse révoltante ? Comment réagit-il face à l’absurdité du monde ? Je dirais, grâce au « sublime », comme dirait Remo Bodei (ou Kant) dans Paysages sublimes.

Mais de ce roman, je retiens surtout les fers qui m’ont crevé les yeux.

Remo Bodei, Paysages sublimes, Belles-lettres.

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